Jean-Christophe Anna
Transition ? (2/3) Stop aux fausses bonnes idées !
Dernière mise à jour : 9 mai 2020

Une nouvelle fois... je vous propose de plonger dans l’océan de l’absurde, dans la mer de la folie douce, un lieu imaginaire où tout est possible.
Un univers fantastique où le vent et le soleil remplaceraient le pétrole et le charbon dans le cadre d’un "New Deal" green ; où l’économie serait régénérative ; où le réchauffement climatique pourrait être inversé ; où la finance serait mise au profit du climat, où le monde signerait un traité de paix économique (Partie 2, l'article ci-dessous).
Un monde merveilleux où les énergies seraient propres, où une croissance verte pourrait être découplée de toute empreinte écologique, où le développement serait durable, où les émissions de carbone pourraient être neutralisées et où les multinationales seraient engagées dans le reboisement de la planète (Partie 1).
Un espace-temps parallèle où la technologie nous sauverait en nous proposant un explosif cocktail IA-transhumanisme-informatique quantique, où enfin nous partirions à la conquête de Mars et même de l’univers (Partie 3) !
Bienvenue sur Terre ou plutôt dans le monde de l’écologie naïve, bienpensante et aussi déconnectée du réel et des lois élémentaires de la physique que le système destructeur qu’elle essaie de faire évoluer !
Dans cette seconde partie, nous allons observer comment certain·e·s pseudo-expert·e·s ont le chic pour nous concocter des projets aussi chocs et séduisants pour le grand public, sous-informé et désinformé, que farfelus et contre-productifs pour les vrai·e·s initié·e·s de l’effondrement, celles et ceux qui ont la disposition d’esprit et le courage de regarder la réalité en face.
Ces fausses bonnes idées ne visent la plupart du temps que le seul réchauffement climatique via la promotion des énergies "vertes" et autres technologies "propres" afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, tout en continuant, bien évidemment, notre folle croissance et le progrès technologique qui va avec… Comme si les métaux rares étaient disponibles en quantité illimitée et leur exploitation sans pollution ajoutée. Comme si l’anéantissement du vivant n’était pas menaçant et le déséquilibre toujours accru des écosystèmes non préoccupant. Comme si nos approvisionnements alimentaires étaient parfaitement sécurisés et l’eau douce, partout sur notre planète, également distribuée.
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
Or, il n’y a pas que le climat, l’urgence écologique est globale et l’effondrement de notre civilisation systémique. Le climat n’est que l’un des 12 dominos !
Ces fausses bonnes idées, ardemment défendues par les écologistes "canal historique" et les startups des green et clean techs, relèvent toutes de l’imaginaire dominant, celui du découplage, celui de la dissonance cognitive ! Leurs promoteurs mettent tous leurs espoirs dans l’innovation technologique pour viser une croissance "verte" tout en réduisant notre empreinte écologique. Or, nous l’avons dit et redit : ce découplage économie-écologie est tout bonnement impossible !
Ces fausses bonnes idées simulent l’audace en visant une "Alliance mondiale pour les technologies propres", en proclamant un "Green New Deal", en prétendant pouvoir "inverser le cours du réchauffement planétaire", en proposant un Pacte "Finance - Climat" ou un "Traité de paix économique".
Et si… nous arrêtions simplement d’être cons !
« Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. » Michel Audiard via le personnage de Fernand Naudin interprété par Lino Ventura – Les tontons flingueurs
INVERSER LE COURS DU RÉCHAUFFEMENT PLANÉTAIRE ?

Sérieusement ? Alors que l’on est aujourd’hui absolument incapable de stopper le réchauffement climatique, autrement dit l’émission de nos grands amis les GES (Gaz à Effet de Serre). Et que l’ONU et la plupart des États visent, avec la plus grande ambition, cette fameuse "neutralité carbone" pour 2050.
Développement des éoliennes sur terre et en mer, réduction du gaspillage alimentaire, éducation des filles, toitures photovoltaïques, agriculture régénératrice, centrales solaires thermodynamiques, véhicules électriques, recyclage des déchets, compostage, géothermie, biomasse… Fort de 80 solutions classées de la plus à la moins impactante, l’entrepreneur, journaliste et écrivain Paul Hawken et son équipe de soixante-dix chercheurs proposent carrément - il fallait oser - d’« inverser le cours du réchauffement planétaire » en inversant les émissions de GES, rien que ça !!! Comme l’indique le résumé du livre "Drawdown – Comment inverser le cours du réchauffement planétaire" paru en mai 2018, « Drawdown désigne le point de bascule à partir duquel la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, après avoir atteint un pic, se met à diminuer d'une année sur l'autre. » L’objectif du livre est ainsi d’aider les gouvernements, territoires, villes et entreprises à engager cette bascule.
Ambitieux ? Non, irréaliste !
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
Lors du passage de Paul Hawken sur France Culture le 13 mai 2019, Dominique Bourg semblait, à juste titre, plus que sceptique : « La situation est tout simplement alarmante. Inverser ça voudrait dire trois étapes : première étape, on cesse d'augmenter, on plafonne ; deuxième étape, on réduit nos émissions pour arriver jusqu'à une neutralité carbone, c'est-à-dire qu'on n’émet plus rien dans l'atmosphère ; troisième étape, on pompe ce qu'il y a dans l'atmosphère. Le climat ce n'est pas un problème isolé, c'est un des paramètres du système terre que l'on a très fortement dérégulé, mais le climat, il est solidaire des autres aspects. La solution c'est associer des choses qui s’emboîtent sur des niveaux très différents. »
UNE ALLIANCE MONDIALE POUR LES TECHNOLOGIES PROPRES ?
Fort de son spectaculaire tour du monde à bord de l’avion solaire Solar Impulse, le psychiatre et aventurier suisse Bertrand Piccard a lancé en 2016, à l’occasion de la COP22 à Marrakech, via la Fondation Solar Impulse l’"Alliance Mondiale pour les Technologies Propres" afin de labelliser et de promouvoir 1 000 innovations écologiques auprès des États et industriels via un nouveau tour du monde. Il les présente comme des « solutions environnementales rentables » … ou comment concilier écologie et profit. C’est même la seule manière, selon lui, de faire avancer la cause du développement durable.
Non, non, vous pouvez vous pincer, vous ne rêvez pas ! Difficile de savoir si Bertrand Picard est honnête dans sa démarche – dans ce cas, soit il est très mal informé (ce que je ne pense pas), soit c’est un doux rêveur naïf (peut-être) - ou s’il est simplement un chantre de plus du Greewashing hypocrite (malheureusement, j’ai bien peur que ce ne soit la réalité).
Technologies propres, création d’emploi et stimulation de la croissance économique, protection des ressources naturelles, amélioration de la qualité de vie sur Terre… tant d’incohérences et d’objectifs incompatibles me laissent pantois et encore une fois ces "solutions" ne sont que des réponses au seul changement climatique.
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
Je vous laisse vous faire votre propre opinion en découvrant la présentation qu’il fait lui-même de ce projet sur son site web (https://bertrandpiccard.com). Attention, cela vaut son pesant d’or !
« Cette initiative s'inscrit dans ma vision selon laquelle les technologies propres peuvent accomplir l'impossible et offrent des solutions concrètes pour surmonter nombre de défis auxquels la société mondiale est aujourd'hui confrontée et atteindre les objectifs du Programme d'action en faveur du climat. S'engager dans les technologies propres est avant tout “logique” et non “éco-logique”. En effet, même si le monde ne connaissait aujourd'hui aucun changement climatique, les technologies à haut rendement énergétique auraient tout autant leur place puisqu'elles permettent de créer des emplois et de stimuler la croissance économique, tout en réduisant les émissions de CO2 et en protégeant les ressources naturelles. »
Dans une interview qu’il a donné au journal Le Monde le 8 septembre 2018, il enfonce le clou : « Il existe un grand malentendu entre les industriels d’un côté, qui mettent en avant l’emploi et la croissance qu’ils créent, et les écologistes de l’autre, qui insistent sur l’urgence de la crise planétaire. Mon message, c’est de montrer que les deux ont raison. Il existe des solutions environnementales rentables, d’autres non. Il existe des solutions industrielles polluantes, et d’autres qui le sont beaucoup moins. Tout l’enjeu est d’agir à l’intersection de deux domaines, grâce à de nouvelles technologies propres qui existent déjà, qui sont rentables, créent des emplois et de la croissance. » Non mais, sans déconner !
Et à la question sur l’exploitation des métaux rares dénoncée par Guillaume Pitron dans son livre "La face cachée de la transition énergétique", Bertrand Piccard ne trouve rien de mieux que de répondre :
« Ce livre met en évidence la nécessité d’encadrer l’exploitation minière. On ne peut pas faire n’importe quoi. Mais cela ne doit pas invalider la nécessité de poursuivre la transition énergétique. La pollution créée par ces mines est localisée, et doit être surveillée. J’aime mieux quelques mines de cobalt de plus que quelques degrés de plus dans l’atmosphère. »
Carrément surréaliste !!!
Enfin, pour couronner le tout, le groupe énergétique Engie a annoncé rejoindre le projet, rebaptisé au passage "Alliance mondiale des solutions efficientes", en juin 2017 à l’occasion du salon… Viva Technology !
Avec parmi les autres membres des sociétés comme Air Liquide, Solvay, ABB, BNP Paribas Suisse, Bouygues… sans oublier toutes les "greentech" et "cleantech", nous pouvons tranquillement et sereinement dormir sur nos deux oreilles, notre avenir est assurément entre de bonnes mains.
UN GREEN NEW DEAL ?

New Deal ? Évidemment, cette expression célèbre fait penser au grand programme d’investissement lancé en 1933 par le président américain Franklin Delano Roosevelt pour sortir les États-Unis de la Grande Dépression, occasionnée par le Krach historique de 1929. Ajoutez-y une touche de vert et vous obtenez le "Green New Deal" ou "Nouvelle donne verte" en français. Tel est le nom donné au projet d’un vaste plan d’investissement dans les énergies décarbonées afin de stopper le réchauffement climatique et de promouvoir la justice sociale.
À l’origine, créé par des ONG écologistes il y a une dizaine d’années et notamment présenté comme une opportunité de relancer l’économie lors de la crise de 2008, ce projet est actuellement porté et popularisé aux États-Unis par Alexandria Ocasio-Cortez. La déjà célèbre "plus jeune élue de l’histoire de la Chambre des représentants", dont les prises de parole écologiquement engagées sont très partagées sur les médias sociaux, s’affirme de plus en plus comme la leader naturelle de l’aile écologiste des Démocrates américains. En février 2019, la new-yorkaise de 29 ans a dévoilé, avec le sénateur démocrate du Massachusetts, Ed Markey, les grandes lignes de ce Green New Deal (GND). Alexandria Ocasio-Cortez a appelé à « une mobilisation nationale de dix ans » pour « répondre à la demande d’énergie aux États-Unis avec 100% d’énergies propres et renouvelables » principalement du solaire et de l’éolien. L’objectif final est donc bien l’abandon des énergies fossiles. Du côté social, d’autres propositions sont avancées, comme la gratuité des universités publiques, une garantie d’emploi offerte par l’état fédéral, la mise en place d’un revenu de base universel ou encore un système de santé public universel. La double ambition de ce projet est de répondre aux urgences écologique et sociale, en accélérant la transition tout en luttant contre les inégalités. Soutenu par plus de 600 organisations écologistes, le GND l’est également par les principaux candidat·e·s démocrates à la présidentielle de 2020, notamment Bernie Sanders et Elisabeth Warren. Même Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU y est favorable.
Il y a donc fort à parier que le climat (et non l’écologie et encore moins l’effondrement) soit au cœur de la prochaine présidentielle américaine, mais pour qu’un tel projet soit réellement lancé, il faudrait évidemment que le camp démocrate remporte non seulement le scrutin, mais également les prochaines législatives afin de conquérir la majorité au Sénat.
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
Hélas, dans leur enthousiasme, Alexandria Ocasio-Cortez et les démocrates semblent ignorer (volontairement ?) les limites inhérentes aux énergies renouvelables. Pourtant, la Californie est déjà équipée d’immenses fermes photovoltaïques qui fournissent une énergie intermittente - avec le problème inhérent du stockage lorsque le soleil est couché - et clairement insuffisante pour remplacer totalement un jour les centrales américaines qui carburent au charbon, au gaz ou au nucléaire. Et les éoliennes ne permettent pas de compenser ce double handicap (intermittence + insuffisance). Enfin, pour couronner le tout, ces fermes solaires sont devenues un véritable problème… écologique aux impacts fort nuisibles sur la biodiversité végétale et animale (destruction de l’habitat naturel des tortues et disparition d’oiseaux et d’animaux brûlés par les panneaux). Sans même évoquer la question des métaux rares - inutile d’en rajouter une couche - le rêve du GND semble plutôt relever du mirage.
Le Green New Deal a vraiment le vent en poupe puisqu’il fait aussi l’objet du denier livre de la journaliste d’investigation et essayiste engagée Naomi Klein ("Plan B pour la planète : Le New Deal vert") et de celui de l’économiste et prospectiviste Jeremy Rifkin. Si la première présente sensiblement le même GND que celui d’Alexandria Ocasio-Cortez et des Démocrates américains, Jeremy Rifkin va plus loin en le développant à l’échelle mondiale et en reprenant son concept de "Troisième révolution industrielle" fondée sur l’association énergies renouvelables - internet. Il imagine ainsi que les humains puissent dans un futur proche générer leur propre énergie "verte" et la partager de la même manière qu’ils produisent et partagent leurs propres informations sur le web.
Dans son livre "The Green New Deal – Why the fossil fuel civilization will collapse by 2028 and the bold economic plan to save life on earth" (en français "Le New Deal Vert mondial - Pourquoi la civilisation fossile va s’effondrer d’ici 2028. Le plan économique pour sauver la vie sur Terre"), Jeremy Rifkin présente un monde post-énergies fossiles comme solution miracle au changement climatique.
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
À l’instar de Bertrand Piccard, il vante les formidables mérites des énergies "vertes" et des technologies "propres" pour une nouvelle économie et de nouveaux emplois par millions. Il appuie son raisonnement sur la possibilité d’une « bulle carbone » (à la manière de la bulle internet de 2000 ?) qui pourrait s’effondrer en 2028. Dans le cadre d’une interview qu’il a accordé au quotidien Le Monde le 16 octobre 2019, Jeremy Rifkin a déclaré « Nous sommes à l’aube d’une transformation majeure au sein de nos infrastructures, relevant de la "destruction créatrice" décrite par l’économiste Joseph Schumpeter [1883-1950]. Beaucoup n’en ont pas pris encore la mesure, car les énergies solaires et éoliennes ne comptaient que pour 3 % de la capacité énergétique mondiale en 2017. C’est encore peu au regard des énergies fossiles, mais c’est là que se situe désormais la plus forte croissance de la demande, attirant de plus en plus d’investisseurs. Résultat : ce secteur va grandir jusqu’à atteindre le point de bascule où la transition sera enclenchée pour de bon, marquant l’effondrement de la civilisation fossile, que les investisseurs délaisseront alors en nombre. Selon Carbon Tracker Initiative, un think tank britannique, ce point de bascule sera atteint lorsque 14 % de l’électricité sera fournie par le soleil et le vent. L’Europe y est déjà. Au niveau mondial, nous devrions l’atteindre autour de 2028. » S’il évoque l’« effondrement de la civilisation fossile », le moins que l’on puisse dire est qu’il ne parle pas du même effondrement que nous !!! Seule la nature des énergies utilisées changerait – elles seraient toutes "propres" - et tout pourrait continuer dans le plus merveilleux des mondes, où ce sont même les travailleurs qui deviendraient les nouveaux acteurs du capitalisme…
« Nous avons des centaines de millions de travailleur qui sont devenus les capitalistes et qui veulent investir dans des fonds verts, dans leurs régions et leurs communautés. Ils peuvent bâtir une nouvelle infrastructure, de nouveaux business et des millions d’emplois que tout cela nécessite. Et leurs enfants et petits-enfants récolteront les bénéfices de vivre dans une communauté décarbonée, résiliente, soutenable, autonome et connectée à ses voisins pour s’entraider face aux risques. »
Vraiment trop fort ce Jeremy ! Quelques heures passées dans la rue au milieu des Gilets Jaunes, des Chiliens ou des Libanais, constituerait, à n’en pas douter, un sacré électrochoc pour notre doux rêveur.
« Le plan économique pour sauver la vie sur Terre » … je dois vous avouer que lorsque j’ai découvert le sous-titre du dernier opus de Jeremy Rifkin, ma première réaction fut la surprise d’y voir apparaitre notre seul véritable défi, celui de sauver la vie sur Terre. Mais… comment peut-il proposer d’y parvenir grâce à un plan… économique ??? Pour Jeremy Rifkin, la solution miracle consiste à changer de carburant, de remplacer le pétrole par le soleil et le vent, les voitures à essence par des véhicules autonomes électriques, et hop la vie sur Terre serait sauvée, et ce grâce à … l’économie. Quel incroyable magicien ! Et comme il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin, il ajoute à nouveau le second ingrédient de sa recette magique : internet et l’explosion des usages du numérique. Véhicules et transports autonomes, maisons intelligentes et connectées, smart cities… la toile devrait permettre de tout interconnecter pour un monde fonctionnant de manière autonome et circulaire, fluide et rentable, et un réchauffement climatique maîtrisé. Fantastique !

Ce projet de Green (New) Deal a également la cote en Europe. Ainsi, la nouvelle Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’a présenté lors de la COP25 début décembre 2019 comme l’une des priorités du nouvel exécutif européen. Ursula von der Leyen a ainsi annoncé 1 000 milliards d’euros d’investissement sur 10 ans :
« Le Green Deal européen est la nouvelle stratégie de croissance de l'Europe. Il réduira les émissions tout en créant des emplois et en améliorant notre qualité de vie. Pour cela, nous avons besoin d'investissements (…) À cette fin, nous présenterons un plan de 1 000 milliards d’euros au cours de la prochaine décennie. »
Dissonance cognitive ! Impossible découplage économie-écologie !
« Notre idée est que tous les États membres s'engagent à être neutres du point de vue du climat d'ici 2050. » Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission, en charge de ce "Green Deal"
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
Et toujours cet objectif à 2050… alors que d’ici-là l’effondrement systémique global aura eu lieu et que la population mondiale aura sans doute été divisée de moitié… au moins !
UNE ÉCONOMIE BLEUE ?
Si la plupart des papes·ses du découplage entre économie et écologie, ces promoteurs·trices d’un capitalisme plus vertueux et d’une croissance plus respectueuse de l’environnement, sont d’inconditionnel·le·s fans de la couleur verte, il y en a un qui ne jure que par le bleu - la couleur de la Terre vue du ciel, de l’azur et des océans - ou plutôt la "Blue Economy" (L’Économie bleue en français). Connaissez-vous Gunter Pauli qualifié par Idriss Aberkane de "Steve Jobs du développement durable" ?
S’inspirant « des écosystèmes naturels pour résoudre les crises économique, sociale et écologique », l’économie bleue se distingue de l’« économie rouge », l’économie classique qui exploite les ressources naturelles et de l’économie verte qui revient selon Gunter Pauli à payer plus cher pour protéger la nature avec bien souvent des impacts négatifs indirects. Le pari du fondateur de la fondation ZERI (Zero Emissions Research and Initiatives) est de « révolutionner notre consommation et nos moyens de production tout en protégeant la nature. » Gunter Pauli ambitionne de sélectionner 100 initiatives susceptibles de créer 100 millions d’emplois.
Dans son livre "L’Économie bleue 3.0", l’économiste et industriel belge recense 200 projets menés avec succès à travers le monde, surtout en Asie, Afrique et Amérique latine. Avec à la clé des millions d’emplois ! Faire pousser des champignons sur du marc de café, fabriquer du papier - sans eau et sans arbres - à base de poussière de pierre, des couches culottes pour faire pousser des arbres fruitiers… soit des dizaines d’initiatives locales inspirantes qu’il partage depuis des années, à travers le monde, dans le cadre de très nombreuses conférences qui connaissent un certain succès. Au point que le gouvernement chinois a choisi d’enseigner "Les fables de Gunter" du livre éponyme dans toutes les écoles du pays !
« Le but de l’économie bleue n’est pas de préserver ou de conserver, mais bien de régénérer. C’est ça la véritable force de la nature, qui toujours rebondira. » Gunter Pauli – La vie, 7 juillet 2017
De formidables initiatives, de jolies fables et une économie régénérative qui créé des millions d’emplois, c’est merveilleux, non ? Euh… NON ! Tout simplement parce que cette économie "bleue" recherche, tout comme la rouge et la verte, le profit et la création d’emplois ! Et son principal intérêt, celui de supprimer les déchets en les revalorisant à l’infini (les déchets des uns deviennent la matière première des autres) dans le cadre d’une économie "en cascade", ne remet en cause ni la nature extractiviste, ni la dimension productiviste, ni la finalité consumériste de notre civilisation. Pire, en donnant une valeur économique aux déchets sur le marché, l’économie bleue encourage la production et la consommation de manière illimitée !!! Bref, Gunther Pauli n’apporte absolument aucune réponse aux principaux périls de notre époque (anéantissement du vivant, épuisement des ressources, pénurie d’eau douce, réchauffement climatique…) et à l’effondrement de notre civilisation.
UN PACTE FINANCE-CLIMAT ?
Il s’agit là d’un projet lancé par Pierre Larrouturou et Jean Jouzel qui ont proposé la création d’une banque pour le climat avec la promesse de créer 5 millions d’emplois via le développement des énergies renouvelables. Encore une proposition apparemment sympathique, mais fondamentalement à côté de la plaque !
Ancien Vice-Président du GIEC, Jean Jouzel est un climatologue et glaciologue mondialement connu. Mais, s’il est un expert du réchauffement climatique, il ne croit absolument pas à l’effondrement de notre civilisation. Souvent "utilisé" comme caution scientifique par les médias qui cherchent à minimiser l’urgence, voire à décrédibiliser la collapsologie, Jean Jouzel estime que les conclusions des rapports du GIEC sont déjà suffisamment graves pour ne pas « en rajouter dans le catastrophisme » ! À ses yeux, le climat est bien notre principal problème :
« Je ne crois pas à ce que prédit Yves Cochet, selon qui notre civilisation s’effondrera d’ici à 2030. Bien sûr, cette notion se réfère aussi à la biodiversité, aux ressources minérales, à la sécurité alimentaire. Et je ne minimise pas les risques. Le consensus scientifique moyen du GIEC et de l’IPBES est déjà tellement énorme… Pas besoin d’en rajouter dans le catastrophisme. Pablo Servigne se fonde sur des travaux scientifiques solides, mais en les tirant à l’extrême. Cela peut être démobilisateur. » (Source : article "Effondrement : l’humanité rongée par la fin" – Libération – 29 juillet 2019)
Voici le résumé officiel du livre "Pour éviter le chaos climatique et financier" dans lequel les deux compères présentent leur projet :
« Et si préserver notre climat était l’un des meilleurs moyens d’endiguer la prochaine crise financière ? Pour sauver les banques, on a mis 1 000 milliards. Pourquoi ne pas mettre 1 000 milliards pour sauver le climat ? … La machine climatique est en train de s’emballer dangereusement. Il ne nous reste que 3 ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre si nous voulons éviter aux jeunes d’aujourd’hui un climat auquel il leur serait difficile, voire impossible, de s’adapter. Or, dans le même temps, l’endettement mondial atteint un niveau inédit, les banques centrales nourrissent la spéculation et tout annonce une crise pire que celle de 2008. Favoriser la spéculation ou sauver le climat ? À nous de choisir. »
« Sauver le climat » ? Quelle idée bien saugrenue que d’essayer de sauver le climat… Il n’est pas menacé de disparition. Nous pouvons tout au plus essayer de réduire le réchauffement climatique que nous avons nous-même provoqué.
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
« Il ne nous reste que 3 ans… » Aïe… le livre datant de novembre 2017, les 3 années sont donc bientôt écoulées et force est de constater que rien n’a changé… Tout au plus, Pierre Larrouturou et Jean Jouzel peuvent se féliciter du Green Deal annoncé par Ursula von der Leyen le 11 septembre 2019 devant les eurodéputé·e·s. D’ailleurs, Pierre Larrouturou est devenu eurodéputé lors des élections de 2019. Il était alors membre de la liste PS – Nouvelle Donne – Place Publique conduite par Raphaël Glucksmann qui défendait le projet d’un Pacte Finance-Climat-Biodiversité (ah quand même, c’est si rare de voir la biodiversité au même niveau que le climat !) avec la création d’une banque européenne pour le climat et la biodiversité.
LE PROJET ÉCOLO DE YANNICK JADOT

Yannick Jadot promeut lui-aussi la transition énergétique et une croissance "verte". La liste "Europe écologie" qu’il a conduite lors des élections européennes du 26 mai 2019 proposait de "sauver l'Europe pour sauver le climat".
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
Et une nouvelle fois, cette idée farfelue de vouloir « sauver le climat » …
Dans son programme, EELV proposait « d’adopter un traité environnemental et de promouvoir le protectionnisme vert pour faire de l’écologie la priorité de l’Europe ». Le parti écologiste prévoyait également, tout comme le programme de la liste PS – Nouvelle Donne – Place Publique de « créer une banque européenne du climat et de la biodiversité et de développer un plan d’investissement massif pour sauver le climat ». Visant une véritable « révolution fiscale » en Europe pour faire « payer les pollueurs », EELV proposait d'investir 100 milliards d'euros par an dans la transition énergétique. Là aussi, Yannick Jadot et les autres élu·e·s écolos ont dû apprécier les annonces de la nouvelle Présidente de la Commission européenne.
Le bon score obtenu aux Européennes a permis à Yannick Jadot de parader allant jusqu’à évoquer « une vague verte européenne dont nous sommes les acteurs » alors que la liste EELV n’a atteint que 12,5% des suffrages, très loin derrière celles de La République En Marche – Modem (22,31%) et du Rassemblement National (23,43%). À regarder de plus près les résultats du scrutin dans l’ensemble des pays, il paraît pour le moins culoté de parler de "vague verte" quand le nombre d’Eurodéputé·e·s verts n’est que de 74 sur un total de… 751, soit à peine 9,85%. Certes, c’est 22 sièges de plus que lors du précédent mandat, mais le Groupe des Verts/Alliance libre européenne reste minoritaire. Sans oublier que le score d’EELV n’est pas non plus le record historique pour les verts français du "canal historique" puisqu’Europe Écologie avait atteint 16,28% au niveau national en 2009, lorsque la campagne avait été conduite par Daniel Cohn-Bendit, alors tête de liste pour la circonscription Île-de-France. Enfin, ce n’est certainement pas avec pour projet la transition énergétique et pour objectif une croissance verte, que Yannick Jadot peut répondre efficacement à l’urgence écologique. Pire, sa stratégie étant la conquête du pouvoir, il est en train de suivre le même chemin que le parti vert allemand (Die Grünen) qui, pour être régulièrement partie prenante du gouvernement, a renoncé à toutes les mesures les plus radicales, pourtant absolument nécessaires, en perdant ainsi son âme.
Une bonne partie des listes présentes aux européennes étaient alignées sur ce greenwashing politique soutenant la croissance "verte" et les "énergies propres". En effet, l’idée d’un Green New Deal était également présente dans le programme de la liste Génération.s conduite par Benoit Hamon. Et même … LREM proposait la création d’une banque pour le climat ! Enfin, EELV, la France insoumise et Génération.s plaidaient tous les trois pour une Europe 100 % énergies renouvelables d’ici 2050. Inquiétant de constater que toutes ces bonnes intentions soient toujours basées sur le pari délirant d’un découplage économie-écologie qui ambitionne la poursuite d'une croissance "verte" tout en réduisant notre empreinte écologique. Tout aussi inquiétant est cet objectif intenable d’une Europe à 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050. Car, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, les énergies renouvelables sont très loin d’avoir la même puissance que les énergies fossiles et nous allons manquer d’énergies fossiles, et notamment de pétrole, pour développer les énergies renouvelables - via l’exploitation des métaux rares - en quantité suffisantes pour compenser le déclin des énergies fossiles. Comment est-ce donc possible d’ignorer à ce point cette équation imparable ? Seule notre fameuse "dissonance cognitive" permet de telles croyances aussi absurdes, de telles constructions intellectuelles aussi naïves.
En fait, aux Européennes 2019, pour trouver un programme aussi audacieux que sérieux évoquant le Rapport Meadows, l'effondrement et la décroissance, il fallait s'intéresser à l'autre liste écolo, "Urgence Écologie", conduite par Dominique Bourg et soutenue par Delphine Batho, Arthur Keller et Gaël Giraud. Elle n'a malheureusement recueilli que 1,8% des suffrages…
UN TRAITÉ DE PAIX ÉCONOMIQUE

Concevoir un "Memorandum of understanding", un projet de Traité de paix économique pour éviter que la guerre économique mondiale actuelle ne détruise définitivement la planète et entraine la disparition de l'humanité ! Telle est l’ambition d’Internation, groupe de réflexion interdisciplinaire (philosophes, biologistes, climatologues, économistes, juristes...) international (France, GB, Irlande, Roumanie, Inde, Brésil, Équateur, États-Unis, Chine...). Il s'agit là d'une réponse directe à l'appel lancé par le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres en septembre 2018. Ce "Memorandum of understanding" devait* être remis par ce think tank à l'ONU le 10 janvier 2020 à Genève à l'occasion du centenaire de la création de la Société Des Nations (SDN), créée à l'issue de la Première Guerre mondiale, ancêtre de l'ONU. (* : je n’ai trouvé aucune trace de cet événement sur Internet)
Lors de son passage sur Thinkerview, le 17 avril 2019, le philosophe français Bernard Stiegler, membre de l'équipe pluridisciplinaire, a présenté ce projet qu'il qualifie de "nouveau compromis historique"destiné à faire muter l'économie et réinventer la croissance - indispensable selon lui pour les 350 000 bébés qui naissent chaque jour -, une « croissance non destructrice ». Il évoque notamment la nécessité de modifier les règles de la comptabilité actuelle qui a entrainé l'avènement de l'ultra libéralisme ou du "libertarianisme de droite" qui détruit la planète et l'emploi. L'une des ambitions du projet est d'accélérer et d'accroitre le niveau de vie des plus pauvres en visant une plus grande justice sociale et une meilleure rationalité économique, plus pertinentes selon lui que la décroissance.
Autant j’avoue être d’habitude séduit par la formidable mécanique intellectuelle de Bernard Stiegler, notamment en matière de travail et d’emploi – j’y reviendrai dans le Tome 2 ("Écrivons un nouveau récit pour sauver la vie") – autant sur ce coup-là je ne le suis pas, mais alors pas du tout, et ce pour au moins deux raisons.
La première est que la croissance est par essence destructrice puisqu’elle s’accompagne systématiquement d’un prélèvement de matière, d’une utilisation d’énergie, d’un rejet de déchets et de pollution, et de dégâts inévitables sur les écosystèmes. Comme nous l’avons vu, ce découplage entre croissance économique et empreinte écologique est tout bonnement impossible.
La seconde est que je ne crois pas du tout à l’efficacité d’un Traité de paix économique. En quoi serait-il davantage suivi que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ou les accords climatiques issus des COP ? Les États, au premier rang desquels les États-Unis et la Chine, qui se livrent actuellement une féroce guerre économique, n’ont que faire de la destruction de la planète et se contrefichent du niveau de vie des plus pauvres. Au mieux, ce Traité de paix économique constituera un joli exercice de style et sera salué par les grands de ce monde, la main sur le cœur, comme étant une avancée notoire sur le chemin de la transition écologique et de la justice sociale…
GÉO-INGÉNIERIE OU COMMENT JOUER AUX APPRENTIS SORCIERS AVEC LE CLIMAT !
Oups… nos activités polluantes ont modifié le climat en entrainant son réchauffement ? Bah, il ne nous reste plus qu’à le modifier à nouveau pour le refroidir !
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
La géo-ingénierie est un ensemble de techniques diverses et variées de manipulation du climat :
Renvoi partiel du rayonnement solaire : "Solar Radiation Management" (SRM). La technique envisagée (SAI pour Stratospheric aerosol injection) consiste à diffuser des particules réfléchissantes dans la stratosphère (SO2 ou Dioxyde de soufre) afin de réduire le réchauffement climatique.
Alcalinisation : cela revient à abaisser le taux d’acidité de l’océan et de le rendre plus basique qu'acide.
Fertilisation de l’océan : "Carbone dioxide removal" (CDR). L'une des techniques imaginée est d'ensemencer les océans avec des particules de fer afin de stimuler le phytoplancton qui absorbe le CO2.
Captage direct du CO2 de l’air avant stockage (DACCS) : la technique, imaginée par la startup suisse Climeworks, consiste à installer un immense "aspirateur" constitué de dizaines de ventilateurs géants pour capter le CO2 dans l’air ambiant avant de le stocker.
Soit d’excellents moyens pour au final ne surtout pas remettre en cause nos activités les plus destructrices ! Et le pire est que ces technologies, dont l’efficacité reste à prouver, ont des effets collatéraux non négligeables et non maîtrisables comme la réduction des précipitations (pour le SRM) et notamment la perturbation de la Mousson indienne avec des impacts directs sur les rendements agricoles et donc les ressources alimentaires des 2 milliards de personnes concernées... ou l'explosion de l'extraction de fer avec toute la pollution afférente (pour le CDR) et du coup une énorme production de CO2 destinée à... capter du CO2. Brillant !
« Pour le SAI, il est largement admis que les avions, après quelques modifications, pourraient injecter des millions de tonnes de SO2 dans la basse stratosphère. » Extrait du rapport du GIEC – 8 octobre 2018
Le comble absolu est que toutes ces solutions aussi délirantes les unes que les autres sont présentées par le GIEC dans la plupart des scénarios de son dernier rapport (8 octobre 2018) comme des solutions susceptibles de limiter le réchauffement à +1,5°C.
Le GIEC soutient donc officiellement des solutions de riposte plus polluantes et plus dangereuses encore que les activités humaines à l’origine du réchauffement !!! Lorsque nous aurons dépassé la fameuse limite de +1,5°C (nous sommes déjà à +1,2°C depuis l’ère pré-industrielle, c’est-à-dire avant 1850), ce qui va désormais arriver dans les toutes prochaines années, la géo-ingénierie apparaîtra comme notre dernière chance pour contrer le réchauffement, ou plutôt pour poursuivre notre opération de destruction du vivant tout en se donnant faussement bonne conscience…
En apprenti-sorciers sans limites et sans scrupules, nous nous apprêtons donc à contenir artificiellement le réchauffement climatique que nous avons-nous-mêmes provoqué… artificiellement ! Notre connerie n’a aucune limite. Mais, finalement, est-ce si surprenant ? Non, puisque le GIEC est une émanation des gouvernements, eux-mêmes sous l’influence des lobbies.
Il fallait quand même avoir le culot de présenter - avant de vivement promouvoir un jour – une telle hérésie qui s’accompagnera, il va sans dire, d’une nouvelle économie "verte" créatrice, tout comme les énergies renouvelables, de millions d’emplois ! Ou comment faire mieux avaler la pilule à la population.
RÉSISTANCE CLIMATIQUE ?
Alors que je pensais sincèrement avoir fait le tour de ces fausses bonnes idées, je suis tombé le 23 mars 2020 sur une tribune publiée par le site Reporterre appelant à entrer en "résistance climatique" !
"Résistance" résonne favorablement à mes oreilles. "Résistance pour la vie" ou "résistance pour le vivant" ? J’aurai signé tout de suite. Mais pourquoi donc qualifier cette résistance de "climatique" ? Passée l’exaspération de voir une nouvelle fois le mot climat décliné dans une formule – ce qui réduit immédiatement le prisme, voire décrédibilise d’emblée l’intention – j’ai été impressionné, stupéfait même, de retrouver parmi les signataires certaines des personnes parmi les plus lucides quant à la juste place du climat dans la grave altération des conditions d’habitabilité de la planète et la dimension systémique de l’effondrement : Dominique Bourg, Gaël Giraud, Pablo Servigne, Agnès Sinaï ou encore Yann Arthus Bertrand, Aurélien Barrau et Bruno Latour rapidement rejoint·e·s sur le site web par Arthur Keller et Yves Cochet !
Je me suis alors posé une question simple : cette nouvelle initiative était-elle digne d’intérêt malgré son appellation malheureuse peut-être simplement induite par la vague du "mouvement climat" ?
Bon, observons de plus près le contenu de cette tribune !
« Depuis deux ans, les mobilisations pour le climat se multiplient sans être écoutées. »
La première phrase me fournit d’entrée la réponse à ma question : il s’agit bien d’une initiative centrée sur le climat…
« La crise du coronavirus vient démontrer à tous qu’une bascule rapide est possible et ne nécessite que deux choses fondamentales : de la volonté politique et du volontarisme citoyen. Afin d’y forcer nos dirigeants sans attendre, après le confinement, nous devons adopter une stratégie plus ambitieuse. Il ne nous faudra pas revenir à la normale mais entrer en résistance climatique. »
Aïe… Si l’on peut aisément comprendre l’intention, impossible pour moi d’adhérer à un tel discours. De quelle « bascule rapide » s’agit-il ? De l’arrêt d’une grande partie de l’économie mondiale ? Si tel est le cas, celui-ci fut contraint et forcé par un événement particulier, la pandémie due au Covid-19, représentant une menace immédiatement palpable et correspondant à un péril, certes oublié, mais bien connu de l’humanité. Aucune chance qu’il en aille de même pour limiter le réchauffement climatique, et encore moins pour sauver la vie sur Terre ou amortir le choc de l’effondrement de notre civilisation pour toutes les raisons expliquant notre inertie. L’association « volonté politique » et « volontarisme citoyen » me paraît quelque peu hasardeuse. À quel moment l’exécutif français a-t-il eu le choix de faire autrement (le scénario de l’immunité collective était impossible en l’absence de tests et de masques) ? À quel moment les citoyens ont-ils eu le choix de faire autrement entre le respect légitime des consignes (présidentielles, gouvernementales et médicales) et les amendes dissuasives ? « Afin d’y forcer nos dirigeants »… sérieusement ? Comment peut-on encore aujourd’hui, en 2020 - presque 50 ans après le Rapport Meadows - imaginer pouvoir forcer des dirigeants nationaux à quoi que ce soit ? Comment peut-on y penser ne serait-ce qu’une seconde après le sort réservé par l’exécutif actuel au mouvement des Gilets Jaunes ou à la grève contre la réforme des retraites ? À moins que les auteur·e·s de la tribune n’aient réellement pris au sérieux Emmanuel Macron lorsqu’il déclara « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant ».
« Nous partons de l’idée qu’il est possible de maintenir une vie digne et heureuse sur Terre. Nous nous battons contre ce qui détruit le vivant. Nous agissons pour ce qui le préserve. »
Ici, rien à redire, c’est même suffisamment rare d’évoquer la destruction du vivant pour être souligné et applaudi !
« Pour cela, suivant les recommandations scientifiques sur le climat et la biodiversité, nous visons une victoire climatique à travers une profonde transformation de nos vies et de nos sociétés. Notre objectif : une neutralité carbone effective en 2050 (accords de Paris, COP21) via une décroissance énergétique mondiale perceptible dès 2025. Attendu sans succès depuis des décennies, le miracle technologique ne nous sauvera pas. Nous devons quitter le business as usual, synonyme de mort précoce pour des milliards d’humains et d’espèces vivantes. »
Là, c’est à nouveau plus contrasté, avec du bon et du moins bon. Dommage après avoir évoqué l’essentiel – la préservation du vivant – limiter la victoire au seul climat… Navrant de viser cette ineptie de la neutralité carbone, surtout pour 2050. Mais, jolie clairvoyance sur la technologie et justesse du diagnostic sur la dimension écocidaire et suicidaire du business as usual.
« Nous travaillons à bâtir un rapport de force politique pour sortir du productivisme et du consumérisme destructeurs qui structurent le système économique actuel. »
Oui pour sortir du productivisme et du consumérisme destructeurs, mais non… aucun rapport de force ne permettra d’en sortir en restant dans le système actuel !
« Notre ennemi est cette norme sociale actuelle et non les individus. Étant sortis du déni, agissons ici et maintenant. Arrêtons de nous attendre les uns les autres de peur de se marginaliser en étant les premiers. Devenons cette minorité motrice, catalyseur enthousiaste d’une transition désirable capable d’initier le changement nécessaire dans toute la société. L’atterrissage de nos sociétés doit être mené dans une perspective de justice sociale mondiale. Ceci impose de réduire nos émissions en deçà de 2 tonnes de eqCO2/humain/an (division par 6 de l’empreinte carbone moyenne d’un Français). Loin d’un sacrifice, cette transition est source d’émancipation. »
NON ! Notre ennemi n’est pas la norme sociale actuelle, cet endoctrinement destiné à nous endormir. Notre ennemi est le système dominant actuel à l’origine même de cette norme sociale manipulatrice !
« Étant sortis du déni » ? Nous sommes si peu nombreux·euses à en être sorti·e·s. Cet appel ne s’adresse-t-il qu’à cette minorité ou est-ce une incantation pour amener le plus grand nombre à en faire de même ? Comme nous l’avons vu, sortir du déni n’est pas chose aisée – il ne suffit pas de se le dire pour faire sauter les verrous psychologiques – et penser que nos actions peuvent à elles seules changer la donne est bien naïf !
« Transition désirable » ? Inutile de re-développer ici les raisons déjà exposées pour lesquelles la transition est tout sauf désirable !
Le texte de la tribune présente alors les cinq phases de la stratégie de résistance climatique.
Détaillées sur le site web du projet, ces phases visent malheureusement uniquement à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone en 2050, soit des objectifs exclusivement climatiques… avec des échéances bien lointaines, si peu ambitieuses et bien insuffisantes. Les auteur·e·s ont-ils·elles conscience de l’effondrement imminent ?
Encore le climat, toujours le climat, seulement le climat… et ne remettons surtout pas en cause le fonctionnement global de notre civilisation extractiviste-productiviste-consumériste et donc intrinsèquement destructrice du vivant.
Le co-fondateur du projet "Résistance climatique", Gildas Véret, est l'auteur du livre "Sauvons le climat ! - les 10 actions pour entrer en résistance climatique".
Sauvons le climat ? NON, NON ET NON ! SAUVONS LA VIE ! Le climat n'est pas en danger de mort, il ne risque pas de disparaître comme une espèce en voie d'extinction.
La décroissance énergétique et matérielle est évidemment souhaitable, mais elle est de toute manière déjà enclenchée pour les raisons de pénurie énergétique imminente évoquées. Les quelques exemples d’actions présentées, si elles semblent radicales pour certain·e·s, sont malheureusement bien ridicules (arrêter l’avion et réduire ses déplacements en voiture, adopter une alimentation plus saine ou limiter ses achats) pour espérer relever l’immense défi de notre époque qui, une nouvelle fois, ne se limite pas à l’unique question climatique !!! Non, désolé, avec une telle stratégie, nous n’avons absolument AUCUNE CHANCE de préserver les conditions d’habitabilité de notre planète et donc de sauver la vie sur Terre. Comme toujours, un tel appel est de nature à laisser penser, ou à faire espérer, que quelques sacrifices à la marge peuvent changer le système et nous permettre de poursuivre tranquillement notre petite existence sans véritablement remettre en question notre confort actuel et notre train de vie absolument insoutenable. Non, la vérité est toute autre… Nous sommes malheureusement toutes et tous les rouages de notre grande entreprise de destruction massive du vivant. Pour ne plus y être associé·e·s, il ne suffit pas de ne plus prendre l’avion ou de réduire sa consommation. Non, il convient de se débrancher au maximum, de s’affranchir de cette machine toxique qui anéantit toute forme de vie. Je ne prétends pas une seconde que ce soit facile.
Mais, pour bien comprendre l’insuffisance des propositions annoncées, je partage deux citations lumineuses de Jean-Marc Gancille issues de son livre "Ne plus se mentir". Elles illustrent merveilleusement la situation inextricable dans laquelle nous nous trouvons et l’insuffisance de l’addition des petits gestes écolos :
« Une majorité de la population vit aujourd’hui de ce qui détruit l’environnement, nuit à sa santé et hypothèque l’avenir de sa descendance. Les exigences immédiates qui permettraient d’y remédier supposent d’aller à l’encontre de ce qui assure le revenu du plus grand nombre. Comment accepter là, maintenant, tout de suite, la disparition d’activités polluantes et émettrices de carbone qui nourrissent la majorité ? »
« Nous faisons tous au quotidien des compromis avec notre conscience. … En vérité, nous tenons tous plus ou moins consciemment notre petite "comptabilité morale" qui préside à nos choix contradictoires. Des chercheurs ont pu montrer que nous pratiquons une forme d’éthique compensatrice où nous tentons en permanence de garder un équilibre entre "bonnes" et "mauvaises actions", entre convictions et envies. Acheter des produits bio nous permet de lâcher la pression sur un voyage à l’autre bout du monde, faire un don à une cause environnementale nous donne une bonne conscience suffisante pour se permettre un gros "barbeuc"… Au final, le bilan est rarement positif. S’évertuer à changer les comportements s’apparente au supplice de Sisyphe. »
Et voici la fin de la tribune appelant à la résistance climatique :
« Ce monde peut paraître utopique, mais c’est surtout l’avenir du monde tel qu’il va qui est profondément dystopique. Si, d’ici dix ans, nous n’arrivons pas à réduire drastiquement les émissions de GES, nous aurons perdu. Compte tenu des effets d’emballement, dépasser les + 2 °C, c’est jouer à la roulette russe avec le vivant. Cette bataille conditionne toutes les autres, il faut impérativement la gagner ! Par la cohérence personnelle DANS l’action collective, nous pouvons y arriver.
Voulez-vous gagner ? »
Au risque de paraître rabat-joie, il me semble que « cette bataille » est déjà perdue ! Les +2°C seront atteints avant 2050 et le respect de l’Accord de Paris (COP21) nous emmènerait vers une augmentation de +3,5°C environ… ce que semblent ignorer les auteur·e·s de la tribune.

(Crédit Photo : visuel réalisé par Hugo Mairelle sur une idée de Jean-Christophe Anna)
Non, cette bataille ne conditionne pas toutes les autres. C’est tout l’inverse. Les autres batailles conditionnent celle-ci. Le climat n’est pas l’origine du mal, c’est un symptôme ! Ce n’est pas en nous contentant de limiter le réchauffement climatique que nous allons sauver la vie sur Terre. C’est en sauvant la vie sur Terre que nous réduirons le réchauffement climatique ! Ce changement nécessaire de combat représente deux avantages majeurs. Premièrement, c’est bien plus puissant de nous mobiliser pour la sauvegarde de la vie qu’uniquement pour réduire le réchauffement climatique. Deuxièmement, c’est bien plus gratifiant. En effet, l’impact de nos actions sur le climat ne se fera ressentir que d’ici 30 ou 40 ans. Alors, que l’impact sur le vivant est bien plus immédiat comme nous avons pu le mesurer pendant la crise sanitaire liée au coronavirus. Avec le confinement, la biodiversité végétale et animale a pu s’épanouir dans nos décors urbains comme elle n’en avait plus eu l’occasion depuis bien longtemps.
Une seconde question m’est spontanément venue à l’esprit : Agnès Sinaï, Yves Cochet, Arthur Keller, Pablo Servigne, Dominique Bourg et Gaël Giraud ont-ils·elles vraiment lu la tribune et pris connaissance de la stratégie ? Difficilement imaginable au vu de leur niveau de conscientisation de la gravité de la situation actuelle et de leurs messages respectifs. Il est fort probable qu’ils·elles se soient associé·e·s à une énième tentative en suivant le mouvement impulsé par d’autres. Un·e-tel·le signe et en invite un·e autre à faire de même. Ou alors, ils·elles l’ont fait en connaissance de cause en estimant que c’était toujours mieux que rien.
À vous de juger l’option qui vous semble la plus crédible. J’ai ma petite idée !
... Si vous souhaitez poursuivre cette odyssée aux confins de l'absurde, je vous invite à découvrir :
Un monde merveilleux où les énergies seraient propres, où une croissance verte pourrait être découplée de toute empreinte écologique, où le développement serait durable, où les émissions de carbone pourraient être neutralisées et où les multinationales seraient engagées dans le reboisement de la planète (Partie 1).
Un espace-temps parallèle où la technologie nous sauverait en nous proposant un explosif cocktail IA-transhumanisme-informatique quantique, où enfin nous partirions à la conquête de Mars et même de l’univers (Partie 3) !
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